Les 30 ruches de Li Hua-fang ne sont pas dispersées à l’orée d’un bois de Zhou Wu Ka, dans l’arrière-pays de Shanghai. Elles sont dans les parages, à deux pas de sa porte, dans la cour qui donne sur un panorama d’estampe chinoise – vertes collines voilées dans une brume d’orage. Les abeilles ont beau croiser dans les allées et déborder des casiers, on s’aventure en bras de chemise sans risquer le moindre accroc avec des locataires accoutumées aux allées et venues. « Mieux vaut l’éviter, dans un rucher français », conseille Franck Muller, entomologiste au Muséum national d’histoire naturelle de Paris.
Mais ne s’offrent-elles pas sur un plateau aux redoutables frelons ? Le couple d’apiculteurs n’en fait pas une histoire. Il lui suffit de garder l’œil sur le rucher, tapette en bambou à portée de main. S’il redouble de vigilance « en septembre », pic d’activité notoire dans les nids de frelons, « ce n’est pas un problème », modère Li Hua-fang. Les bras de ses collègues français en tomberont, eux qui désespèrent de trouver la parade aux ravages du frelon asiatique depuis son introduction en Lot-et-Garonne.
« Je suis un peu surpris, personne ne m’en a parlé », s’étonne Qiu Rumin, propriétaire de 300 ruches à Changxing et patron d’un négoce reconnu de reines fondatrices, à en croire les distinctions qui tapissent le mur de son bureau. Il ne sait rien de l’introduction de l’insecte en France, encore moins qu’il puisse venir tout droit de Yixing, c’est-à-dire de la porte à côté, à quarante minutes de route.
Pas plus dangereux pour l’homme qu’un frelon autochtone
Souvent redouté, notamment à la vue de son nid, le frelon asiatique n’est pas plus agressif qu’un autre hyménoptère. Comme le frelon autochtone, il n’est dangereux que dans des circonstances extrêmes : sujet allergique, piqûres multiples.
Voilà un mets très apprécié dans les bouis-bouis des provinces du Yunnan et du Guangxi, dans le sud-est de la Chine : des larves de frelon grillées. « Ils les font frire avec de l’huile », indique Qiu Rumin, qui reconnaît n’y avoir jamais goûté.
Ce n’était pas faute d’assister au Congrès mondial de l’apiculture, dont Montpellier était la ville hôte en novembre 2009, mais la conférence que Claire Villemant, chercheuse au Muséum, y consacrait n’était pas inscrite à son programme. Et pourtant, « des frelons, il y en a beaucoup, spécialement dans la région », convient Qiu Rumin. Au cul des camions-bennes, direction les 300 ruches, en rase campagne. Si la route est mauvaise, c’est parce qu’elle dessert le chantier de la nouvelle autoroute, entre la province du Jiangsu et celle du Zheijang.
À défaut de caser un rucher sous ses fenêtres, à la façon des Hua-fang, il arrive qu’un gros apiculteur engage une personne supplémentaire pour y veiller « d’août à octobre », précise le professionnel. Ce qui fait dire à Qiu Rumin que ses collègues français pourraient en faire autant « si le coût du travail n’était pas si élevé », croit-il savoir. En tout état de cause, « c’est impossible de laisser un rucher sans surveillance ». À l’impératif de sentinelles s’ajoutent d’autres astuces.
Pas de piège à alcool
Ainsi, un sort particulier est réservé au « frelon géant » Vespa mandarinia, gros comme un pouce, capable d’entrer dans une ruche, et autrement plus redoutable que Vespa velutina, qui envahit le sud-ouest de la France. Un spécimen capturé sera lesté d’une boule de coton imbibée de fipronil, l’agent actif du Gaucho, et empoisonnera le nid à son retour. Car le frelon Vespa velutina n’est pas le seul à sévir dans l’Est chinois. « Il en existe quatre ou cinq espèces », compte Qiu Rumin. Paradoxalement, c’est une chance. « Il y a une autorégulation entre elles », estime Claire Villemant.
Dame nature vient aussi à la rescousse, puisque les abeilles orientales parent aux attaques en formant une boule autour d’un frelon trop envahissant. « La vibration de leurs ailes a pour effet d’augmenter la température jusqu’à ce que l’adversaire meure d’hyperthermie », faisaient valoir des entomologistes dès 2006. La pression relativement faible de l’insecte nocif n’a jamais incité les apiculteurs à développer d’autres moyens de capture, notamment les très controversés pièges à alcool, aussi peu efficaces que « désastreux » pour la biodiversité locale, rappelle l’entomologiste agenais Jean Haxaire.
L’impayable M. Rumin en rit encore : « Si c’était efficace, on l’aurait trouvé depuis longtemps et on n’aurait pas besoin d’employer quelqu’un devant les ruches ! » Même avec le faible coût du travail chinois.
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